Comment transformer un pied normal en pied bot :
La technique chinoise
Dr J.-J. MATIGNON
LA CHINE HERMÉTIQUE
Superstitions, Crime et Misère
Un document produit en version numérique par Pierre Palpant, bénévole,
Dans le cadre de la collection : “ Les classiques des sciences sociales ”
fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay,
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi. Site web : http://classiques.uqac.ca/
Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque
Paul-Émile Boulet de l’Université du Québec à Chicoutimi. Site web : http://bibliotheque.uqac.ca/
« A PROPOS D’UN PIED DE CHINOISE
Voir un pied de Chinoise n’est pas toujours facile. En avoir un à soi, qu’on peut examiner, disséquer, est une véritable chance. Cette chance, je l’ai eue, grâce à l’obligeance des sœurs de l’hôpital français de Pékin.
Le pied provenait d’une jeune fille de vingt ans, morte de tuberculose. C’était une fille du peuple, voilà pourquoi son « petit pied » était un peu grand. Il avait, en effet, 17 centimètres de longueur, alors que celui d’une femme du monde peut ne pas dépasser 13 à 14 centimètres. Son poids, avec 6 centimètres de jambe, était de 480 grammes.
La face externe du pied a la forme d’un triangle rectangle. Le bord supérieur, légèrement convexe au niveau du scaphoïde, en est l’hypoténuse. Le bord inférieur, à peu près horizontal, présente, à l’union de son tiers postérieur et de ses deux tiers antérieurs, une encoche profonde regardant en bas et en arrière. Le bord postérieur est perpendiculaire.
Même disposition pour la face interne. Toutefois, son bord inférieur est moins nettement dessiné ; il a vaguement la forme d’un large accent circonflexe, sur la partie antérieure duquel se voient les faces dorsales des orteils repliés sur eux-mêmes.
La face plantaire, ellipsoïdale, est plus large dans sa partie postérieure que dans l’antérieure. Une dépression profonde d’un centimètre partage la plante en deux régions distinctes : celle du talon, en forme de fer à cheval ; celle des orteils, vaguement triangulaire.
Les quatre derniers orteils sont, par un mouvement de flexion, ramenés totalement sous la plante et reposent, sur le sol, par leur face dorsale. Chacun d’eux porte un cor à ce niveau. Les orteils ont subi non seulement ce mouvement de flexion, mais aussi un mouvement de rotation sur leur axe, car ils sont pliés de dehors en dedans et d’arrière en avant.
L’orteil est aplati et, sur une coupe perpendiculaire, paraît triangulaire. Le tassement des orteils et la déformation consécutive sont surtout marqués sur le second.
Les ongles sont modifiés dans leur aspect, et atrophiés. Aux trois derniers doigts, ils sont petits, minces, renversés. Celui du deuxième a la forme d’une griffe et on voit très bien son empreinte sur la figure.
L’axe du gros orteil, prolongé en arrière, passerait au milieu du talon. C’est, autour de cet axe que se produit le mouvement hélicoïdal, destiné à amener la flexion et le tassement des autres doigts.
Les quatre derniers orteils ont perdu, à peu près, toute mobilité spontanée et on ne peut pas provoquer un écartement de la voûte plantaire supérieur à 1 cm. 50.
Les mouvements qu’on peut faire exécuter aux articulations médio-tarsiennes sont insignifiants.
La peau, sur les faces dorsale et latérale, est normale, mais porte de nombreuses rides. A la face plantaire, elle forme des callosités au niveau du talon et du gros orteil ; ailleurs, elle est, fine, blanche, comme macérée.
Le pied est très cambré. La malléole externe est à 7 centimètres ; l’interne à 8 centimètres du sol.
Une dissection rapide nous a donné les renseignements suivants.
Le tissu cellulo-graisseux forme un matelas très épais, maintenu par de nombreuses cloisons fibreuses, partant de la couche profonde du derme pour s’insérer sur le périoste, au niveau du calcanéum.
L’aponévrose plantaire est faible et s’attache à la tubérosité interne du calcanéum par deux chefs. Le premier, volumineux et assez large, s’étend en éventail et se termine sur la tête des derniers métatarsiens. Le deuxième, plus interne, envoie un petit faisceau de fibres obliques, en éventail, qui va se perdre sur le bord externe du cinquième métatarsien.
Les trois loges formées par l’aponévrose n’existent pas ; deux seulement sont bien marquées, l’interne et la moyenne. Je n’ai pu trouver trace de la cloison séparant la loge moyenne de l’externe.
Les muscles de la région plantaire se rencontrent à peu près tous, mais sont remarquables par leur état d’atrophie ou plutôt de nanisme.
RÉGION INTERNE. — Le court adducteur du gros orteil est normal. Les insertions du court fléchisseur sont normales en arrière, mais la bifidité n’existe pas en avant. Le long fléchisseur le déprime pour se creuser une gouttière dans son épaisseur. La portion oblique du court abducteur est atrophiée, formée de quelques fibres musculaires, pâles, larges d’un demi-centimètre, terminée par un tendon de la grosseur d’une épingle.
RÉGION MOYENNE. — Le court fléchisseur est très rudimentaire, composé presque seulement de tendons, fins comme des aiguilles. L’accessoire du long fléchisseur, ayant des insertions normales, est relativement très volumineux.
Les lombricaux ne sont représentés, pour les trois externes, que par quelques fibres musculaires. Le premier est bien développé.
RÉGION EXTERNE. — Le court abducteur du petit orteil, le court fléchisseur sont tout petits, mais présentent des insertions normales. L’opposant n’existe pas.
Les interosseux, surtout les deux premiers, sont bien développés.
A la face dorsale, l’aponévrose du pied est très fine, véritable feuille de papier à cigarettes. Elle commence au ligament annulaire de la jambe qui est très fort.
Le muscle pédieux est très mince, plat, d’un quart de centimètre à peine d’épaisseur. Ses tendons sont filiformes.
Les vaisseaux et nerfs, faciles à reconnaître à la face dorsale, n’ont pu être suivis ou trouvés facilement à la face plantaire.
Les os ont comme caractère général une gracilité tout à fait particulière. Les métatarsiens ne sont point détonnés. Ils sont simplement petits. Le scaphoïde est normal. Le cuboïde, les cunéiformes, surtout les deux premiers, sont atrophiés et aplatis latéralement. La plus grande déformation porte sur le calcanéum dont le volume est normal. Mais cet os, fléchi sur lui-même, est tordu en virgule .
Voici comment, dans son intéressant travail Pékin et ses habitants, M. le Médecin-inspecteur Morache décrit les manœuvres qui doivent amener la production de cette déformation.
On commence à masser le pied, à fléchir plus ou moins les derniers orteils, à les maintenir, dans cette position, par un bandage en 8 de chiffre. Ce bandage que j’ai vu exécuter, plusieurs fois, devant moi se fait avec une bande de coton ou de soie, de 5 à 6 centimètres et plus de large, de 1 mètre à 1 m. 50 de long. On applique le chef initial de la bande sur le bord interne du pied, au niveau de l’articulation tarsienne du premier métatarsien. On porte la bande sur les quatre derniers orteils, laissant le pouce libre, puis sous la plante du pied. On la relève sur le cou-de-pied pour former une anse derrière le calcanéum, en ayant soin de l’appliquer sur la tête de l’os, non au-dessus ; on revient au point de départ. En un mot, on fait un 8 de chiffre dont l’entrecroisement se trouve sur le bord interne du pied. Au-dessus de cette première bande, on en place une seconde, destinée surtout à la maintenir, et on l’arrête par quelques points de couture.
Le mode d’application du bandage ne varie pas, pendant toute la période des manœuvres.
En étudiant son effet, on constate qu’il produit deux résultats : 1° flexion des quatre derniers orteils et torsion, sous la plante du pied, des métatarsiens correspondants ; 2° tassement antéropostérieur du pied, par son point d’appui sur le calcanéurn. Peut-être, déjà, à un faible degré, exagération de la concavité plantaire.
Pendant les premiers temps, le bandage est médiocrement serré. Peu à peu, on augmente la tension. A chaque nouvelle application, qui se renouvelle au moins tous les jours, on laisse quelques instants le pied à nu, on le lave et on le frictionne avec l’alcool de sorgho. L’oubli de cette précaution contribue puissamment à faire naître des ulcérations.
A cette époque, la chaussure de l’enfant consiste en une bottine dont l’extrémité se rétrécit peu à peu et arrive, enfin, à être complètement pointue. L’étoffe remonte assez haut et se réunit en avant par un lacet. La semelle est plate, sans talon, comme celle d’une pantoufle.
Par ces seuls moyens, on arrive à produire le pied vulgaire que nous avons décrit plus haut, comme le plus commun dans le Nord, le plus usité par les classes pauvres. Mais il faut en continuer l’usage, sous peine de perdre le fruit des premiers efforts. La jeune fille, la femme s’appliquent leurs bandages avec régularité. Là, ainsi qu’en beaucoup d’autres choses, si on n’acquiert pas, on perd. La chaussure reste, toujours, la même comme forme, elle varie seulement de dimensions avec la croissance du pied ; car il n’y a pas arrêt absolu de développement de ce membre, mais seulement perversion.
Si la mère veut donner à sa fille un pied encore plus élégant, elle a recours à d’autres procédés. Lorsque le premier degré est bien établi, que la flexion des orteils est permanente, on commence à exercer un massage énergique, puis on place, sous la face plantaire, un morceau de métal de forme cylindrique et d’un volume proportionné à celui du pied. On applique le bandage en 8 par dessus le tout, en le maintenant fortement et en portant les entrecroisements non plus sur le bord interne du pied, mais sous la face plantaire.
Le rôle de ce corps, placé et maintenu en ce point, est facile à comprendre : le point d’appui doit être considéré comme pris sur le demi-cylindre métallique et sur la masse osseuse centrale du pied. Les points mobiles sont, d’une part, le calcanéum, de l’autre les orteils, qui tendent à se rapprocher en tournant autour du centre. Si l’on veut, on peut encore considérer les orteils, les métatarsiens et le demi-cylindre comme point d’appui fixe. La partie postérieure du calcanéum sera le point mobile. Dans tous les cas, cet os sera sollicité à changer de direction et à devenir plus ou moins vertical, d’horizontal qu’il était normalement.
Lorsqu’un certain résultat a été obtenu, on n’a qu’à porter les tours de bande sur le calcanéum lui-même, par-dessus l’insertion du triceps jambier, et l’on augmente ainsi l’action du bandage. Enfin, pour s’opposer à la contraction de ce muscle qui agirait en sens inverse, on entoure quelquefois la jambe de plusieurs tours de bande assez serrés.
Un puissant moyen, pour arriver au résultat cherché, se trouve encore dans le massage.
La mère, appuyant son genou sur la face inférieure du demi-cylindre de métal, saisit d’une main le calcanéum, de l’autre la partie antérieure du pied de l’enfant et s’efforce de le plier. On dit que dans ses efforts elle produit, quelquefois, une fracture (une luxation) des os du tarse ; que, si elle n’y parvient pas, elle frappe avec un caillou sur la face dorsale, jusqu’à ce que la lésion se produise. Enfin, dans certaines provinces, il serait d’usage d’enlever un os, probablement le scaphoïde, lorsque celui-ci faisant saillie après des manœuvres nombreuses, sans doute fracturé déjà, rend possible une opération que jamais les Chinois ne pratiqueraient sans cela .
Dans le début de cette seconde période, on a substitué à la chaussure à semelle plate une bottine dont la semelle est forcement convexe. Cette bottine aide d’abord, puis maintient, chez les adultes, la concavité de la face plantaire.
En résumé, de même que je crois devoir admettre deux degrés de déformation, je reconnais deux degrés de manœuvres. Dans le premier degré, flexion des quatre orteils, sous la plante du pied, tassement d’avant en arrière, obtenu par les bandages. Dans le second degré (supposant le succès du premier), bascule du calcanéum, diminution énorme de la longueur du membre, exagération
de la voûte plantaire obtenue par la bandage aidé du demi-cylindre de métal, le massage et les efforts exercés aux extrémités du pied.
Toutes ces manœuvres produisent une flexion forcée du pied, dans le sens antéro-postérieur, avec torsion des orteils autour du premier métatarsien. Tout le poids du corps repose sur le calcanéum. Les orteils ne jouent qu’un rôle insignifiant. Du reste, la gravure de la chaussure ci-jointe montre que seul le talon peut avoir un rôle de sustentation sérieux. Mais ce point d’appui est assez insuffisant.
Chaussure de femme chinoise — Chaussure de femme tartare
Aussi, les femmes, dès qu’elles sont un peu âgées, doivent-elles avoir recours à un bâton. Les jeunes marchent, les bras légèrement écartés, comme des balanciers, le thorax en avant, le bassin en arrière, semblant poursuivre leur centre de gravité. Les talons réunis, elles sont en équilibre tout à fait instable et rien n’est plus facile que de les faire tomber à la renverse. La chose m’est arrivée, un jour, à l’hôpital. Une femme de quarante ans environ était venue me voir pour ses dents. A un moment donné, ayant voulu lui faire incliner la tête un peu en arrière, j’exerçai une pression avec mon pouce, dans le sens vertical, contre l’arcade dentaire supérieure. La pression avait été légère, mais suffisante pourtant pour renverser ma cliente.
Cette esthétique est pénible à obtenir. Un proverbe chinois dit : « Tout petit pied coûte une tonne de larmes. » Mais cette question sentimentale a été sans effet, sur le développement de cette singulière pratique.
Mrs. Archibald Little, qui s’est beaucoup occupée de la question et a été, jadis, une animatrice de l’Antifootbinding Association, a pu écrire :
« Pendant trois ou quatre ans, la fillette est une martyre, marchant péniblement avec un bâton, ne pouvant ni courir ni jouer. Menant une existence de douleur, les traits tirés, la figure pâle, 10 % d’entre elles succombent .
Pourquoi cette coutume ? Depuis quand est-elle établie en Chine ? C’est un mystère qui, jusqu’ici, n’a pu être encore éclairci. Les opinions les plus singulières ont été émises à ce sujet.
Pour certains auteurs, cette pratique se perdrait dans la nuit des temps. Un historien chinois prétend que cette mode fut établie en 1100 avant Jésus-Christ. Une certaine impératrice Ta-Ki avait un pied bot : elle persuada à son mari — vraisemblablement homme faible — de décréter obligatoire la compression des pieds des petites filles, pour les rendre semblables à celui de leur Souveraine, donné comme modèle de beauté et d’élégance. Peut-être cette version a-t-elle un fond de vérité ; le pied déformé est légèrement varus équin.
D’autres auteurs prétendent qu’un monarque fantaisiste, Hang-Ti, 600 ans après Jésus-Christ, avait forcé une de ses concubines à se comprimer les pieds. Il avait fait imprimer sous la semelle une fleur de lotus, qui, à chaque pas de la favorite, laissait son empreinte sur le sol : de là le nom de lis d’or, encore employé pour désigner le pied. de la Chinoise.
Une autre tradition veut que cette habitude remonte à l’Empereur Li-Yo qui tenait sa cour à Pékin en 916 après Jésus-Christ ; le souverain s’avisa de faire tordre le pied d’une de ses femmes pour lui donner une vague ressemblance avec le croissant de la lune. Les courtisans se pâmèrent aussitôt d’admiration et la chose devint de mode.
D’autres auteurs soutiennent que cette habitude de déformer le pied n’a d’autre but que d’empêcher la femme de courir et de donner la sécurité au Chinois, très jaloux. Si tel est le but poursuivi, le résultat est négatif, car les petits pieds n’empêchent guère la femme de marcher, de courir, de danser, jouer au volant ou faire des acrobaties, à cheval ou sur la corde.
Quelle qu’en soit l’origine, cette habitude est fort répandue. La beauté chinoise réside en grande partie dans le pied. « Un pied non déformé est un déshonneur », dit un poète. Pour le mari, le pied est plus intéressant que la ligure. Seul le mari peut voir le pied de sa femme nu. Une Chinoise ne montre pas plus facilement ses pieds à un homme, qu’une femme d’Europe ses seins. Il m’est arrivé de donner, souvent, mes soins à des femmes chinoises à pied ridiculement petit, pour plaies, excoriations survenues du fait du bandage trop serré. Elles avaient des pudibonderies de pensionnaires, rougissaient, faisaient mille manières pour se laisser examiner, me tournaient le dos pour défaire les bandes et dissimulaient, ensuite, leur pied dans un linge, ne laissant à découvert que la partie malade. La pudeur est une question de convention : les Chinoises l’ont pour les pieds.
La déformation du pied n’est pas également répandue dans toutes les provinces. Elle est plus fréquente à la ville qu’à la campagne. Au nord de Pékin et dans les anciens territoires mongols, maintenant occupés par les Célestes, j’ai pu remarquer que toutes les femmes avaient les pieds déformés. Seules les chrétiennes les avaient normaux. Les missionnaires ont pu obtenir de leurs ouailles de renoncer à cette pratique de coquetterie. Il n’en est pas partout ainsi, car, dans certaines provinces du Sud, les religieuses qui dirigent les orphelinats sont obligées de déformer les pieds de leurs petites filles, sans quoi elles ne trouveraient pas à les marier.
Les femmes tartares-mandchoues ont les pieds remarquablement fins, mais non déformés. Après la conquête et l’établissement, sur le trône des Mings, de la dynastie actuelle, les femmes des vainqueurs voulurent adopter la mode chinoise : des édits impériaux s’y opposèrent sous peine de mort. Les Tartares obéirent à regret, mais cependant essayèrent de copier, de loin, la forme de la chaussure chinoise et mirent à la leur un énorme talon au milieu de la semelle.
On a prétendu que cette déformation des pieds avait pour résultat d’amener un développement plus considérable des cuisses, du mont de Vénus. M. Morache a, depuis longtemps, démontré que cette hypothèse n’avait rien de très fondé. Les recherches, les mensurations faites par moi-même, à ce sujet, ne font que confirmer l’opinion de mon éminent chef.
Mais il est un point sur lequel personne n’a encore insisté et qui, à l’heure présente, me paraît particulièrement intéressant : je veux parler du rôle du pied, comme excitant du sens génésique chez le Chinois. Mon attention a été attirée sur ce point, par un très grand nombre de gravures pornographiques, particulièrement dégoûtantes, dont les Chinois sont très friands. Je regrette que leur caractère de trop haute obscénité ne me permette pas de reproduire, dans ce travail, quelques-uns de ces spécimens. Dans toutes ces scènes lubriques, on voit le mâle tripoter voluptueusement le pied de la femme. Le pied, surtout quand il est très petit, pris dans la main d’un Céleste , lui produit un effet identique à celui que provoque, à un Européen, la palpation d’un sein jeune et ferme ; pure question de sentiment… et de sensation. J’ai pris, pour me confirmer dans l’opinion que j’avance, beaucoup de renseignements auprès des Chinois. Tous les Célestes interrogés ont été univoques :
— Oh ! le petit pied ! Vous, Européens, ne pouvez pas comprendre tout ce qu’il a d’exquis, de suave, d’excitant !
L’attouchement des organes génitaux, par le petit pied, provoque, chez le mâle, des frissons d’une volupté indescriptible. Et les grandes amoureuses savent que, pour réveiller l’ardeur, par trop refroidie, de leurs vieux clients, prendre la verge entre leurs deux pieds vaut mieux que tous les aphrodisiaques de la pharmacopée et de la cuisine chinoises, y compris le « ginsen » et les nids d’hirondelles .
Le Chinois, croisant dans la rue un joli pied, fait des réflexions aimablement libidineuses, tout comme la vue d’un corsage bien garni et d’une jolie taille parle aux sens d’un Européen. Il n’est pas rare de voir les chrétiens chinois s’accuser, à la confession, d’avoir « pensé à mal » en regardant un pied de femme.
Plusieurs sociétés chinoises ont essayé, mais en vain, de lutter contre cette habitude de bander les pieds. Les missionnaires catholiques ont réussi, dans certains points, à faire cesser cette coutume. Les missionnaires américains ont, il y a quelque temps, tenté de frapper un grand coup. Ils ont rédigé un placet, dans lequel ils demandaient à l’Empereur de Chine de donner des ordres, pour faire cesser cette « pratique barbare » et ont chargé le Ministre des États-Unis à Pékin de remettre cette supplique, contenue dans une superbe boîte en argent, au Tsoung-li-Yamen, pour que ce Ministère la fît parvenir au Fils du Ciel. Le Tsoung-li-Yamen répondit que l’Empereur laissait à ses sujets le droit de faire ce qui leur plaisait, que la requête des missionnaires ne pourrait lui être transmise, mais que la boîte d’argent, ayant un cachet artistique et de la valeur, serait conservée dans les archives. Nous trouvons cette déformation des pieds ridicule, mais elle fait plaisir aux Chinois. Que dirions-nous, en Europe, si une société de Célestes venait faire campagne contre le corset ? Déformation pour déformation, quelle est la plus ridicule : celle qui a comme résultat de produire une certaine difficulté de la marche ou celle qui, comprimant l’estomac, luxant le rein, écrasant le foie, gênant le cœur, empêche souvent les femmes de faire de beaux enfants. »
Dernière MàJ : jeudi 21 mai 2009